Heiligendamm, jeudi 7 juin, 17h30...
LE TEMPS.CH | 13.06.07 | 08h52 • Mis à jour le
13.06.07 | 09h53
Je vous parle en connaissance de cause. J'étais au
troisième rang, juste devant la caméra dont les images
du président français circulent aujourd'hui
abondamment sur l'Internet. Ceux qui avaient pu, comme
moi, atteindre le centre de briefing d'Heiligendamm
étaient pour la plupart dans la salle. Presque un
exploit : les protestataires anti-G8 ayant bloqué le
train à vapeur reliant le centre de presse à la salle
de briefing, distants d'une dizaine de kilomètres, les
rescapés avaient été convoyés dans l'après-midi en
bateau.... ou en hélicoptère. Beaucoup de journalistes
français, coincés et furieux, durent d'ailleurs se
contenter de regarder ce jour-là leur président sur
écran.
Résumons : l'intervention de Nicolas Sarkozy était la
seule à cette heure. Pas de tension particulière ni
d'agitation sécuritaire donc, dans ce centre de
briefing monté de toute pièce à l'extérieur du Grand
Hôtel Kempinski, pour que les grands de ce monde ne
soient pas importunés par les reporters. Le reste
s'est passé comme ça : Sarko est arrivé en retard,
pressé. Eméché ? Cela ne m'est pas venu à l'esprit. Il
ne titubait pas. Il semblait plutôt étonné d'être
propulsé là, au milieu des journalistes, tous leur
carnet de notes en main. Je l'ai senti plutôt angoissé
par un grand vide. Pris de vertige. Un peu comme un
trapéziste qui voit soudain le sol défiler sous lui.
Il n'était pas serein (mais lui arrive-t-il de
l'être?). Plus grave : il ne semblait pas non plus
très bien préparé par ses conseillers à son premier
punching-ball diplomatico-médiatique.
Le malaise venait du ton. Je l'ai dit dès la fin de la
conférence à mon collègue Yves Petignat, aussi sur
place pour couvrir le G8. L'hôte de l'Elysée était
euphorique. Il planait. Au point de nous prévenir
qu'il avait "gardé son calme" devant Poutine. Au point
de demander, devant ses conseillers un tantinet
éberlués, si " la diplomatie française peut lui
accorder un peu de marge de manœuvre "...Ce Nicolas
Sarkozy paraissait éberlué, bluffé, étonné lui-même
d'être enfin là, dans ce "saint des saints" de la
puissance mondiale. "Dans ce G8, on n'a pas une
seconde, on court de réunion en réunion", a-t-il
poursuivi. Regards déconcertés des confrères. Ce
président-là ressemblait à un grand ado un peu perdu,
sortant de sa pochette surprise ses propositions pour
sauver le monde : moratoire de six mois sur le Kosovo,
annonce d'une prochaine visite au Royaume-Uni pour
convaincre Gordon Brown de soutenir son "traité
simplifié"...
Je l'ai, pour tout dire, vraiment trouvé à côté de la
plaque. Pas alcoolisé. Plutôt survitaminé. Comme dopé.
Quelque chose sonnait faux dans ses mots. Il n'était
pas ce soir là le chef de l'Etat français. Il était
"Sarko" : cet énergique politicien qui vous veut du
bien, vous sourit mécaniquement, est bourré de tics et
ramène tout à lui : la victoire arrachée à Bush sur le
climat, l'arrêt des souffrances au Darfour... Je l'ai
suivi en campagne électorale, avec le correspondant du
Temps à Paris Sylvain Besson. Il est comme ça. Il lui
faut du pathos, de l'adhésion, une bonne dose de "Je",
de "moi".
Amphétamines, alcool, déprime? Laissons de côté les
rumeurs qui vagabondent sur l'Internet. Ce qui m'a
sidéré, en cette fin d'après-midi au G8, c'est que
Nicolas Sarkozy ne parlait pas de l'état du monde. Il
nous parlait de lui, de sa "franchise", de son
"agenda", de son "calme". D'abord ivre d'être là.
Saoulé par ses propres paroles.
Richard Werly